Le SYSTEME DU cinEma franCais :
A bout de souffle ?



PRÉSENTATION DE L’ACTEUR
Stéphane Huard dirige la société Sony Pictures France. Sa spécialité ? Le marketing de produits culturels américains. Le Figaro l’avait même renommé en 2016, “agent de liaison franco américain”. Il est dans le cinéma depuis 2001. Après avoir travaillé chez Disney et l’Oréal aux Etats Unis, il a fait quelques temps du marketing pour des films en agence, avant de se lancer dans la production de comédies musicales avec la société Stage Entertainment au Théâtre Mogador. Il est ensuite revenu au cinéma pour ouvrir la filière Universal à Paris et est désormais chez Sony. Stéphane Huard est également professeur à Sciences Po.
SON RÔLE DANS L’ÉCOSYSTÈME :
Stéphane Huard est distributeur. Selon ses propres termes, il est “l’entité qui récupère des films américains ou français et qui est chargé de tout mettre en place pour que les films trouvent leurs publics dans les salles de cinéma”.
Il existe plusieurs cas de figures.
Un distributeur peut être intéressé par un film développé par un producteur. Il va alors lui verser un minimum garanti, soit une somme d’argent qui va permettre de tourner le film. En échange, le distributeur obtient le droit de le sortir en salle ou en vidéo et de prendre une portion des revenus générés par le film. Le minimum garanti sert donc à financer le film. Le distributeur finance également les frais de sortie. Il se rembourse par la suite sur les entrées.
Un distributeur peut aussi parmi plusieurs films identifier le potentiel d’une ou plusieurs oeuvres, cibler le public auquel elle(s) s’adresse(nt) et définit en fonction un plan de communication (affiche, bande annonce, achat média et toute autre publicité visant à communiquer sur le film) et un plan commercial (proposer des films adaptés à des salles de cinéma sur une dimension adaptée au potentiel du film).
Il s’agit de gérer au mieux ces dépenses pour atteindre le chiffre d’affaires le plus important, c’est à dire le plus grand nombre d’entrées possible.
SA VISION DE L’ÉCOSYSTÈME :
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Sur les problèmes rencontrés aujourd’hui par l’industrie :
Il y a aujourd’hui beaucoup d’aides diverses accordées par le CNC, qui permettent à beaucoup de films d’être financés. Il y a cependant une saturation de l’offre sur le marché français qui date des 5 dernières années : il sort à peu près 15 nouveaux films par semaine en France. En Angleterre, en Allemagne, aux Etats Unis, c’est la moitié. Des aides sont également distribuées à des films étrangers pour venir en France. On peut considérer d’un côté que c’est une bonne chose car cela prouve la variété du cinéma français. La production locale est effectivement très forte :250 films sont produits par an et le cinéma national représente près de 35% du total des entrées. Cette profusion entraîne cependant un énorme “turnover” par les exploitants. La durée de vie des films en salles est donc réduite, les films n’ont plus la possibilité de s’installer et de rencontrer un public. Aujourd’hui, à peine 20 films font plus d’un million d’entrées en France, quand il y en a des centaines qui font moins de 50 000 entrées.
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Sur la salle de cinéma et sa labellisation :
En tant que distributeur de films plutôt grand public, Stéphane Huard n’a pas vraiment besoin de label. Ce dernier, qu’il vienne de la sortie en salle ou soit plus spécifique, comme le label Art et Essai est vraiment important pour les distributeurs qui peinent à diffuser leurs oeuvres.
On reproche cependant au label Art et Essai d’être trop largement accordé : il y aurait une sorte de connivence en donnant le label à des films plus populaires de manière à ce que les salles prennent moins de risques dans leur programmation et bénéficient quand même des aides.
A l’inverse des cinémas parisiens très pointus se plaignent actuellement parce qu’ils n’ont pas accès à des films plus “grand public” ou à des films qui devraient leur revenir en exclusivité du fait de leur ligne éditoriale mais qui sont donnés à d’autres salles. On a donc une vraie confusion sur le rôle des salles aujourd’hui.
Ainsi, les multiplexes (c’est à dire les groupes verticalement intégrés comme UGC) offrent un large panel de films, qui empiètent sur le territoire des petites salles. A cause de l’intensification du nombre d’écrans (notamment dans les grandes villes) et le développement du modèle de la carte illimitée, il y a une volonté de la part de ces multiplexes d’avoir une offre de films importante pour amener le spectateur à revenir souvent. L’objectif d’un distributeur étant que ses films rencontrent le plus grand public possible, il ne va donc pas dans ce sens refuser un gros cinéma.
Auparavant, dans les années 1970 / 1980, les salles avaient un rôle très défini, les spectateurs étaient fidèles à une salle pour sa programmation. Cette fonction s’est diluée aujourd’hui, même si l’on voit l’apparition de nombreuses plateformes de curation VOD / SVOD, spécialisées dans un type de films en particulier.
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Sur la VOD :
Stéphane Huard explique que l’exploitation en salle est une première fenêtre très importante car elle donne la valeur au film. D’une part sa valeur artistique, car on voit l’oeuvre dans les meilleures conditions, sur grand écran. D’autre part sa valeur économique, parce que tous les revenus qui vont être générés sont proportionnels aux entrées du film. Le nombre de visionnages en VOD ou les ventes DVD sont en général reliées aux nombre d’entrées en salle. On estime qu’un film qui a par exemple fait 100, va faire à peu près 8% de ce chiffre d’affaires en VOD. C’est un fonctionnement assez mécanique : il n’y a pas de films qui font 10 entrées en salle et l’objet de 200 visionnages en VOD. Si un film ne peut pas vivre sa vie complète en salle, il perd donc de la valeur commerciale et économique.
La réussite dans la première fenêtre d’exposition (en salle) conditionne donc la deuxième fenêtre (en VOD).
L’ensemble des acteurs est plutôt satisfait avec le système actuel. Les réticences quant aux nouveaux modes de diffusion ont pour causes principales les incertitudes qui leur sont liées.
