Le SYSTEME DU cinEma franCais :
A bout de souffle ?




PRÉSENTATION DE L’ACTEUR
​
Thomas Paris est un ancien élève de l'Ecole polytechnique, docteur en gestion, chargé de recherches au CNRS. Il a développé une expertise dans le champ des industries créatives, où il mène des recherches tant d'un point de vue du management de la création que de celui de l'économie et de la régulation. Il développe aussi des recherches sur l'innovation et l'apprentissage organisationnel, en partenariat avec de grandes entreprises et avec des start-ups.
Professeur affilié à HEC School of management, il est le directeur scientifique du master spécialisé Média, Art, Création, il est aussi impliqué dans un programme de formation à l'Ecole polytechnique et animateur du séminaire Création à l'Ecole de Paris du management sur le management de la création.
Ses publications sont disponibles ici.
​
​
SON RÔLE DANS L’ÉCOSYSTÈME :
Contrairement aux autres acteurs qui sont du fait de leurs obligations professionnelles dans une pratique concrète du cinéma, Thomas Paris porte un regard académique sur les différentes questions économiques régissant l’industrie.
Nous l’avons rencontré dans le cadre de ses rapports “De nouvelles voies pour la diversité du Cinéma en Europe ? Analyses des expérimentations menées dans le cadre de l’Action préparatoire « La circulation des films à l’ère numérique »,
L’Action préparatoire « La circulation des films à l’ère numérique » est une initiative financée par le Parlement Européen et mise en place par la Commission Européenne. Elle visait à tester l’impact de la sortie de films simultanément ou quasi simultanément en VOD et cinéma, festivals ou télévision dans plusieurs pays.
​
SA VISION DE L’ÉCOSYSTÈME :
-
Sur les problèmes rencontrés aujourd’hui par l’industrie :
​
Pour Thomas Paris, le premier problème majeur et le plus évident est la piraterie qu’il définit comme “la mise à mal d’un système économique de financement par des pratiques nouvelles”. L’ensemble des acteurs qui ont un intérêt dans la filière essaient de se battre pour faire en sorte que le cinéma reste dans une économie viable.
Le deuxième problème est la tension selon laquelle de plus en plus de films ont de plus en plus de difficultés à avoir une exposition, c’est à dire à être visible en salle mais aussi sur d’autres modalités de diffusion. C’est un enjeu structurant pour l’industrie puisque c’est à partir de cette tension que s’expriment des désaccords notamment sur la chronologie des médias,les nouvelles formes de distribution, les plateformes de VOD et l’importance à leur accorder.
Le troisième problème est la potentielle “sur production”. L’abondance naturelle est une caractéristique des économies culturelles. Dans le cadre du l’économie du cinéma, beaucoup de films sont produits et peu arriveront finalement à tirer leur épingle du jeu. Ce constat est assez normal, c’est la marche logique d’un secteur relié à la création. Le vrai problème provient de la transformation de cette abondance en sur-production. La différence entre ces deux notions est compliquée à exprimer. On pourrait définir une situation de surproduction comme une situation où une grande partie des oeuvres produites avec des sommes souvent élevées n’ont pas la chance de pouvoir être montrées en salle dans des conditions normales, n’ont pas la capacité de rencontrer un public. Le régime normal serait donc une situation dans laquelle les oeuvres ont la la possibilité de rencontrer un public, même si beaucoup d’oeuvres n’en rencontreront pas. C’est à cause de ce problème des acteurs ont commencé à envisager de nouvelles voies de diffusion.
​
-
Sur la VOD et la SVOD :
Thomas Paris insiste sur le fait que voir un film en VOD n’est pas la même chose que de voir un film au cinéma.
L’expérience est déjà différente selon la taille de l’écran, bien que la taille des écrans tende à s’agrandir chez les particuliers.
Il ne s’agit ensuite pas du même prix de consommation, ni du même type de loisir : le cinéma est une sortie, quand un film VOD est destiné à une consommation plutôt familiale, à domicile.
Le 4ème élément qui rentre en jeu c’est la chronologie des médias qui est selon Paris, “la manière qu’a trouvé l’industrie du cinéma pour différencier les manières de consommer et pour discriminer la propension à payer des différents consommateurs.” L’idée est que le consommateur consommera le même produit, mais sous des formes détériorées, c’est à dire, plus tard, dans des conditions moins optimales.
Si de nombreuses incertitudes demeurent quant à l’avenir de ces nouveaux modes de consommation, Thomas Paris a en tout cas pu constater lors de l’écriture des rapports sur l’Action préparatoire “La Circulation des films à l’ère numérique” des logiques de complémentarité sur des films de type plutôt confidentiels.
Le mode de distribution en concurrence la plus frontale avec la piraterie, est la VOD étant donné qu’il s’agit de la même manière de consommer des films. Il y a de plus toute une génération qui est née dans une gratuité de facto. Les faire payer pour du contenu est donc compliqué, même si les industries musicales telles Spotify commencent à imposer leur modèle.
La SVOD souffre encore d’un problème de chronologie des médias. Cependant selon ses termes, modifier la chronologie revient à accepter de “rentrer dans une sorte de chaos sans savoir vraiment comment les choses vont évoluer.”
-
Sur les distributeurs :
Il existe des voix dissonantes parmi les distributeurs.
Il y a d’un côté les distributeurs qui peinent à faire circuler des oeuvres au milieu des imposantes licences hollywoodiennes : les nouvelles formes de diffusion sont pour eux une question de vie ou de mort.
De l’autre, il y a des distributeurs qui se posent des questions sur leur intérêt à expérimenter de nouvelles formes de diffusion, par peur de se mettre les exploitants “à dos”.
​
-
Sur les exploitants :
Les exploitants de leur côté, dans l’ensemble, considèrent que le système fonctionne et que les nouvelles formes de diffusion sont trop incertaines. Même si la cannibalisation n’est pas assurée, ils sont en tout cas certains qu’ils courent un risque et qu’il vaut mieux par conséquent rester dans la situation actuelle. Ils sont pour leur majorité pour la protection de la chronologie des médias et la sacralisation de la salle.
Les exploitants bénéficient du rôle de labellisation que joue le rôle de la salle de cinéma : un film qui passe en salle en tire un certain crédit, qui va le valoriser durablement pour son exploitation économique. Il convient cependant de se poser une question sur cet effet de labellisation : provient-il vraiment de l’exposition en salle ou de la promotion qui est faite en parallèle de l’exposition en salle ?
-
Sur Netflix :
​
Pour Thomas Paris, Netflix est un distributeur au sens large (pas au sens du cinéma) qui travaille sur un portefeuille de droits qu’il essaie de valoriser à l’échelle mondiale. C’est quelque chose d’assez nouveau, ce qui donne à la firme américaine un rapport de force assez différent des concurrents traditionnels.
Il rappelle que Netflix étant ce qu’on appelle un “tuyau”, soit un acteur diffusant des contenus, l’entreprise dépend pour vivre de ces mêmes contenus : pas de contenu, pas d’abonnés. Quand de “nouveaux” tuyaux apparaissent, leur survie dépend de la quantité, de la qualité, de l’exclusivité et de sécurisation des contenus. L’aspect géographique, c’est à dire proposer des contenus adaptés aux territoires peut également être un facteur important : quand Netflix débarque en France, ils produisent Marseille. L’investissement récent majeur dans des séries européennes confirme cette ambition de s’implanter au niveau local.
​
​
-
Sur les producteurs :
Thomas Paris souligne que Netflix est une véritable opportunité aujourd’hui pour certains producteurs (notamment indépendants), qui n’arrivent plus à boucler le financement de leurs films. Netflix, en proposant d’acheter les droits pour tous les territoires constitue en effet une vraie “bouffée d’oxygène” dans le plan de financement.
De l’autre côté, on a d’autres producteurs qui s’en sortent bien aujourd’hui et qui sont réticents à céder du terrain à Netflix. Leur peur ? Que Netflix prenne de trop de poids et impacte l’économie traditionnelle du cinéma.
​
-
Sur Canal + :
Canal + bénéficie d’un statut très très particulier en France, sans doute unique au monde.
La chaîne est historiquement le premier financeur du cinéma français, en échange d’une fenêtre spécifique dans la chronologie des médias. Par conséquent, tout ce qui peut remettre en cause la chronologie des médias peut dévaloriser l’abonnement que propose Canal +. Ils sont donc réticents à tout changement qui pourrait nuire à leur abonnement.
Ce n’est pas anodin car par derrière, l’ensemble des acteurs du cinéma français se disent que tout ce qui peut mettre en péril Canal + peut mettre en péril l’économie du cinéma français. Des acteurs qui pourraient donc avoir un intérêt spontané à expérimenter de nouvelles formes de diffusion sont freinés par cette peur de l’effondrement de la chaîne. Il existe un intérêt commun à ce que Canal continue d’exister.
La part du cinéma de la chaîne va beaucoup dépendre de la personnalité de Monsieur Bolloré. Il a affirmé dans ses dernières déclarations que le cinéma resterait un pilier de l’offre.
-
Sur la chronologie des médias :
La chronologie des médias est pour lui une discussion permanente sans fin. La question centrale est celle d’un équilibre qui permettra à la filière de générer le plus de revenus. La piraterie est dans ce cadre un enjeu fondamental de dosage : comment aller chercher les spectateurs dans leur propension à payer, tout en sachant que si on allonge trop la chronologie des médias, la menace de la piraterie devient plus forte.
Si la chronologie des médias peut être d’un côté une arme contre le piratage, les acteurs établis n’ont pas intérêt à ce qu’elle soit modifiée. En effet, si ce phénomène se perpétue, plus personne n’aura intérêt à s’abonner à Canal +. Et si le parc d’abonnés de la chaîne baisse, cela représente moins d’argent pour financer le cinéma français. Cependant raccourcir la chronologie, c’est aussi dévaloriser l’oeuvre.
Seuls les acteurs dans des positions plus délicates sont plutôt dans des positions radicales et demandent un changement.
En particulier concernant Canal +, Bolloré ne peut pas remettre les choses en cause radicalement, car sinon son pouvoir de négociation dans la négociation de la chronologie des médias diminuera.
​
-
Sur l’Union Européenne :
Il y a pour Thomas Paris, deux grandes valeurs portées par les instances européennes. La première est l’intégration européenne au sens culturel, la deuxième est l’optimisation au sens économique (suppression des barrières vers des marchés communs). Ils sont plutôt dans une logique progressiste et d’innovation : le numérique n’est pas une menace mais plutôt une opportunité pour améliorer la circulation des films.
L’exception française est pour lui un concept vide de sens. Si au départ, l’exception culturelle constituait dans les négociations internationales le fait que la culture faisait exception, cette exception culturelle s’est peu à peu muée en exception française. Cette notion a été remplacée par celle de diversité culturelle, plus positive. En tout cas pour lui, la culture fait exception dans ses modalités de fonctionnement économique. Les pouvoirs publics ont toujours considéré la culture comme un enjeu et ont toujours accordé une attention particulière à ce secteur mais les arguments mis en avant pour justifier l’exception mettent systématiquement en avant des logiques défensives et conservatrices.